

Chaque lundi, Marc-Édouard Nabe écrit deux pages ici.
Les gens croient que c’est parce qu’ils font des efforts qu’ils vont arriver à se sauver. Mais pas du tout : moi, je pense (et ça c’est très protestant) qu’on peut faire quelques progrès et comprendre certaines choses, d’accord, mais on ne peut pas se racheter. À un velléitaire de la rédemption, j’ai envie de dire : « Tu auras beau agir tant que tu peux pour être dans le Bien et multiplier les bonnes actions, et tout bien faire carré (attention, Dieu déteste ce qui est scolaire), ça n’a changera rien puisque de toute façon, à la base, ou tu es élu ou tu ne l’es pas, quoi que tu fasses. Si tu es un maudit, tu seras toujours un maudit. Et si tu es élu, malgré toutes les saloperies que tu pourrais commettre, ça ne changera rien non plus puisque tu es élu… Coincé, mec, et tant mieux ! »

Olivier Marleix, un pourri anti-pourris de la politique française, est retrouvé mort chez lui. Sans rien savoir de la psychologie du type, on met immédiatement son suicide en doute alors qu’on l’a découvert pendu dans sa chambre. « C’est pas possible, il allait bien encore la veille… ». The return of La Palice (« 1/4 d’heure avant sa mort, il était encore en vie »), et c’est reparti ! On ressort l’affaire Boulin, et évidemment la Bérégovoy dont certains persistent à dire que ce n’est pas un suicide mais un assassinat ; un assassinat, attention, pas par pression psychologique, un véritable assassinat par quelqu’un qui aurait pris le revolver dans la boîte à gant de la voiture de fonction de « Béré » à Nevers le 1er mai 1993 et qui aurait tiré deux balles dans le caisson du premier ministre puisqu’on a entendu deux coups de feu (tout ça, je l’ai décortiqué dans mes Porcs). Pourquoi assassiner un type qui s’en voulait à ce point-là ? On connaît l’histoire, Bérégovoy n’a pas pu se pardonner d’avoir magouillé une histoire de prêt pour s’acheter un appart’ alors qu’il se prenait toujours pour un ancien prolo parvenu mais resté intègre… Pour le député LR Marleix, sarkozyste déçu, défenseur de la réforme des retraites, soutien de Bruno Retailleau, aussitôt sa mort annoncée, les hommages se sont multipliés, de Mathilde Panot à Marine Le Pen, en passant par Gabriel Attal, Mélenchon, Chikirou, Bardella, Zemmour, tous saluant un « député passionné ». « Il était plein de projets »… Comme si avoir plein de projets empêchait de se suicider… Van Gogh s’est suicidé à Auvers-sur-Oise en 1890 alors qu’il était en pleine forme : il avait trouvé ce nouveau format, le « double carré », et enchaînait les chefs-d’œuvre en épurant de plus en plus sa peinture : c’est pas ça qui l’a empêché de se tirer une balle dans le cœur, en visant mal en plus… Les douteurs, et pas que des bœufs, rodent autour du cadavre de Marleix en se demandant s’il s’est vraiment suicidé, ou bien si les macronistes l’ont « aidé »… Comment on fait pour assassiner quelqu’un qu’on va retrouver pendu ? Et dont « les constatations médico-légales de l’autopsie ont permis de conclure à une mort par asphyxie compatible avec une autolyse. Aucun signe de violence interne ou externe au corps. Le corps a été laissé à disposition de la famille. » À part Sénèque qui s’est suicidé sur ordre de Néron, je ne vois pas. Macron / Néron même combat ? C’est-à-dire qu’on n’attend même pas que le type soit autopsié, ni même enterré, pour décréter que c’est un assassinat et non un suicide ! Il y a une espèce de peur du suicide et surtout une obstruction philosophique, je dirais, à vouloir comprendre pourquoi quelqu’un se suicide d’une seconde à l’autre ; on refuse d’admettre l’existence d’une détresse sourde, silencieuse, tapie dans la zone d’ombre de la boîte noire cérébrale de l’individu qui soudain allume en lui une mèche de décision qui déclenche une action irréversible contre lui-même. Ceux qui ne disent pas directement que Marleix a été assassiné le font sous-entendre… Le complotisme est maintenant rentré dans la norme ; c’est devenu la norme. Il arrive en tête de toute analyse de tout évènement. C’est la réaction pavlovienne autorisée et généralisée, et à tous les niveaux. C’est après qu’il faut prouver que c’est faux. C’est d’abord la thèse officielle conspi qui est avancée ; ensuite, on essaie de voir si certains fous vont avoir le culot d’exprimer « leur » vérité ! Sur Marleix, Dieudonné : « Geste prétendument désespéré ». Nicolas Dupont-Aignan : « Comment un homme comme Olivier Marleix qui allait publier en octobre un livre fondamental sur la dissolution de la France a-t-il pu se suicider ? » Gilbert Collard : « Écrire un texte de combat pour l’avenir et vouloir mourir, je ne comprends pas ! » Florian Philippot « Olivier Marleix avait notamment dénoncé le pacte de corruption autour de la Macronie »… Etc, etc. Pour eux tous et bien d’autres, ou on l’a assassiné ou on l’a acculé au suicide : dans le premier cas, c’est un crime ; dans le second, c’est son « sens de l’honneur » qui l’a tué. C’était bien son genre, à Marleix, catho droit dans ses bottes pataugeant dans la boue… Quelle bêtise ! En effet, se flinguer parce qu’on se fait une haute idée de la politique, c’est très con. Marleix était écœuré par Laurent Wauquiez comme Bérégovoy l’avait été par Mitterrand ; vous voyez le niveau ? Marleix, rigide libéral anti-immigrés, « honnête homme » soporifique, n’était qu’un fouille-merde idéaliste qui voulait absolument dénoncer la vente d’Alstom aux États-Unis par Macron lorsqu’il était ministre de l’économie, comme si depuis, il n’avait fait pas pire ! Marleix considérait ça comme une trahison de la France… Ah, la France !

Quelques jours avant, on a fait le même coup avec Éric Dénécé… C’est la saison des suicidés soi-disant assassinés… Voici le temps des assasuicidés ! Dénécé ? Un petit mec grisâtre, « spécialiste » des renseignements, qui avait la phobie des USA, voyait la CIA partout. Il croyait que les « printemps arabes » avaient été programmés par l’Amérique depuis plusieurs années avant, puis qu’il fallait réprimer la rébellion contre Kadhafi en Libye… Mais c’est sur la Syrie que Dénécé était le plus gerbant : cet espionneur islamophobique était pour le régime évidemment, et trouvait que le pays n’était pas « à feu et à sang » alors qu’au même moment, Bachar, aidé par Poutine, bombardait Alep ! Et quand le serpent Assad a été enfin chassé, Dénécé a dit que ce n’était pas « une bonne chose »… En février 2022, à quelques jours de l’incursion des Russes en Ukraine, Dénécé a décrété que ça n’arriverait jamais. De toute façon, pour lui, tout était la faute de Zelensky. Et pour couronner le toutou des Russes, Dénecé a parlé de Boutcha comme d’un « montage »… Dénécé le pro-Iranien, le pro-Arménien, cochait toutes les cases de la connerie, je vous dis. Pâlichon poteau d’Yves Bonnet (le flic qui avait eu tout faux sur Mohamed Merah), ce n’était qu’un petit agent luttant contre la désinformation alors que de lui n’émanait que ça. Lâché par ses amis (ce catholique « mettait l’amitié au-dessus de tout »), rongé par sa page Wikipédia (sic), harcelé fiscalement, ruiné, parano, fragilisé de toutes parts, Éric Dénécé a été, lui, retrouvé au volant de sa voiture, avec son arme à côté de lui, la tête éclatée, mais pour l’opinion publique conspi, il ne s’agit pas du tout de suicide, mais d’une élimination politique parce que comme Marleix, avec lequel il partageait une tristesse existentielle flagrante sur le visage, Dénécé avait attaqué Macron sur Alstom. Encore un suicidé de la société Alstom ! Alors qu’il ne représentait aucune menace (sauf pour lui), Dénécé est posthumément vanté comme « l’homme qui en savait trop », il était dangereux pour le Pouvoir, on l’a donc exécuté…
Ce bobard est allé jusque à Bun ! Oui, Bun Hay Mean, dit « Chinois marrant », l’humoriste qui s’est écrabouillé par terre au pied de son immeuble Boulevard des Batignolles… C’est la troisième « victime » de puissants ! Les conspis décomplexés de tous bords le clament. Sauf que ça se complique car le Chinois est peut-être celui qui avait le plus de raisons de se suicider (dépression, bipolarité, alcool, échecs, HP, chinoiseries de tous genres), et c’est lui qui est peut-être mort, tout simplement, d’un accident à la con. En essayant de récupérer son portable qu’il avait fait tomber dans la gouttière passant en dessous de sa chambre de bonne, au 8ème étage sous les toits, Bun a été déséquilibré et est passé par la fenêtre… Sketch qui fait rire jaune ! Aussitôt, les réseaux s’emballent : Bun n’est ni tombé, ni ne s’est suicidé ; il a été lui aussi éliminé (comme Dénécé et Marleix) car il disait des choses « dérangeantes » dans ses spectacles… Comme qui ? Mais comme Coluche pardi, et Balavoine, qui ne sont pas morts d’accidents stupides eux non plus, mais bien par la volonté du Pouvoir de leur époque qui cherchaient à les faire taire. Comme eux, « Chinois marrant » était trop « subversif »… Comment on dit « mon cul ! » en chinois déjà ? C’est tout juste si les contestataires de la réalité, sûrs d’eux comme d’habitude, ne disent pas que c’est Brigitte Macron qui l’a poussé en personne ! « Bun, c’était notre nouveau Coluche… » Rien à voir ! Le seul point commun qu’ils ont, Coluche et lui, c’est qu’ils sont morts accidentellement. Le surnom de Bun était en soi une antiphrase car il n’était ni complètement chinois, ni très marrant ; plutôt cambodgien et absolument pas drôle, comme la plupart des « comiques » d’aujourd’hui (j’en ai souvent parlé). Et quelle laideur ! Un monstre, une insulte à la civilisation chinoise. Lisa Bresner, une vraie suicidée, elle, aurait été d’accord avec moi : c’était quoi cette espèce de double buisson pas du tout ardent mais couleur cendrée quand même, qui encadrait filassement le gros ballon jaunâtre dégonflé et poilu qui lui servait de tête, à Bun, et qui était ornée en permanence d’un rictus de haine manifeste ? Attifé, sur scène comme à la ville, en épouvantail dans de larges mi-sweets mi-tuniques bariolés, ça se voyait à ses mouvements que « Chinois marrant » était sous médocs, son corps était mal dans son être (on appelle ça « un mal-être », parait-il) de connard, laquais de l’humour bien-pensant. Bun Hay Mean avait fait tout son buzz sur des vannes « racistes pour dénoncer le racisme », alors que ce Chinetoque puait le premier degré raciste de base. Ma mère aurait détesté ce Chinois : elle détestait tous les Chinois. Elle qui n’était pas du tout raciste, ni sur les Noirs, ni sur les Juifs, ni sur les Arabes, ne pouvait pas piffer les Jaunes (allez savoir pourquoi)… Hélène non plus d’ailleurs, mais elle, c’est parce qu’elle avait eu, avant moi, un amant, un Cambodgien également : Tchee, le seul raté du Petit théâtre de Bouvard, qui, lui aussi, est mort d’une chute d’une fenêtre, ou plus précisément, selon Bruno Gaccio (attention, sujet à conspi), « est devenu trader à Singapour et s’est jeté par une fenêtre ». Audrey et Alexandra, c’est plutôt les Noirs (avec les Juifs, bien sûr) qu’elles ne peuvent pas sentir, si je puis dire : pour tout l’or du monde (quoique Alexandra, il faut voir), jamais elles n’accepteraient de baiser avec un Noir, mais elles n’ont rien contre les Chinois. D’ailleurs, le Bun faisait partie de la bande de potes à Audrey, les humoreux Navo, Kyan Khojandi, Kheiron… Que des métèques sinistres ! « Chinois Marrant » était un tout petit peu moins mauvais que VDB, mais il faut le dire vite, il faut le rire vite.

Cela dit, la fenêtre reste ouverte : Bun Hay Mean a très bien pu se suicider (comme Gilles Deleuze, autre lourdaud ?) plutôt que tomber accidentellement du haut d’un immeuble, comme c’est arrivé à Chet Baker, à Amsterdam en 1988, lorsque Chet avait grimpé sur la façade de son hôtel pour regagner sa chambre, et dont on a dit aussi que c’était un suicide… Sauf que ce n’est pas parce qu’il était dépressif et bipolaire que « Chinois marrant » devait forcément se suicider, car comme en tout, il y a des hiérarchies dans les suicides… Il y a les aristocrates du suicide (Empédocle, Pétrone, Segalen, Jacques Rigaut, Chaval, Bosc) et les ploucs orgueilleux, exemples : François de Grossouvre du temps de Mitterrand, et donc de nos jours Marleix et Dénécé… Ça se mérite le suicide, comme la drogue ! Même Montherlant, parce qu’il devenait aveugle, ou Romain Gary parce qu’il devenait impuissant sont, pour moi, non recevables. Guy Debord, c’est presque limite (beaucoup d’orgueil). Le juge Lambert s’asphyxie dans un sac parce qu’il a peur qu’on découvre le ou les coupables dans l’Affaire Grégory et que sa responsabilité dans la foirade totale de son instruction le discrédite définitivement. Finalement, on dit qu’il y a toujours plein de facteurs différents, contradictoires mais convergents, qui amènent à l’acte suicidaire et qui le rendent ensuite insondable. Non. Les plus beaux et les plus authentiques suicides sont ceux qui ont une raison bien précise. En vrac : Judas se pend parce qu’il a trahi le Christ ; Pilate pareil, parce qu’il s’est lavé les mains de Lui ; et bien sûr, Hitler, Goebbels, Himmler se suppriment (on sait pourquoi aussi)… Si Van Gogh se tue, c’est parce qu’il ne supporte pas de continuer d’être à 37 ans à la charge de son frère Théo qui, sous l’influence de sa femme, commence à le lâcher ; Drieu La Rochelle avale des somnifères après avoir ouvert le gaz parce qu’il ne voulait pas être jugé ni condamné par une République qu’il avait toujours méprisée et combattue ; Ernst Kirchner se tire une balle redoublée dans la poitrine car il s’était vu classé par les nazis parmi les artistes « dégénérés » et parce qu’on avait brûlé ses tableaux ; Witkiewicz se tranche la gorge dans un champ parce qu’il ne veut subir ni le joug nazi ni soviétique dans son pays polonais qui venait d’être envahi par les deux armées ; Bernard Buffet se met un sac en plastique sur la tête pour s’étouffer parce qu’il ne pouvait plus peindre à cause de sa maladie de Parkinson ; Patrick Dewaere se tire une balle dans la bouche avec le fusil que lui avait offert Coluche qui le tenait du professeur Choron parce que sa femme Elsa s’était barrée à la Guadeloupe avec le même Coluche et menaçait Patrick de ne plus lui laisser revoir sa fille ; Otto Weininger, à l’âge de 23 ans, se tire une balle en plein cœur dans la maison où Beethoven mourut à Vienne parce qu’il se dégoûtait comme juif (bien que converti au protestantisme) et que son monument philosophique Sexe et caractère avait été accueilli avec indifférence ; Oscar Dominguez, s’ouvre les veines au réveillon 1958 dans son atelier de la rue Campagne-Première, culpabilisé d’avoir éborgné Brauner un soir de beuverie et se rendant à l’évidence qu’il ne serait jamais Picasso ; Raymond Roussel avale des barbituriques dans sa chambre d’hôtel à Palerme parce qu’il s’était ruiné à essayer de faire reconnaître son œuvre qui n’avait jamais eu aucun succès… Virginia Woolf est allée se noyer dans une rivière avec des pierres pleins les poches pour bien couler, parce qu’elle n’arrivait plus à écrire parce que ses livres n’avaient aucun écho… J’en ai des kilos comme ça à vous servir… Louis Salou, George Sanders, Nino Ferrer, Michel Magne… Évidemment beaucoup sont dépressifs, alcooliques ou neurasthéniques comme Pascin, Sylvia Plath, ou Max Linder qui se suicide à deux avec sa femme sans être japonais comme Dazaï qui fera pareil (Shinjū)… Plus fort encore, dans le jazz (très peu de suicides dans le jazz), Frank Rosolino, un tromboniste blanc, ne supportant pas que sa femme se soit suicidée pour une infidélité, décide d’en finir. Avant ça, il tire sur ses fils, en tue un et blesse l’autre qui deviendra aveugle, puis Frank se tire une dernière balle dans la tête. Ça, c’est des suicides justifiés !

Lucide Saint-Just : « Notre liberté aura passé comme un orage, et son triomphe comme un coup de tonnerre. » 1792.

Superlucide Sade : « Non, nous ne voulons plus d’un dieu qui dérange la nature, qui est le père de la confusion, qui meut l’homme au moment où l’homme se livre à des horreurs ; un tel dieu nous fait frémir d’indignation, et nous le reléguons pour jamais dans l’oubli d’où l’infâme Robespierre voulut le sortir. » 1795.

Le free jazz ne supporte pas le second degré : à la moindre plaisanterie référentielle, mélodique en particulier, tout s’effondre. Aucun clin d’œil n’est supportable, ou plutôt aucun clin d’oreille à des airs connus. Seul Ayler a pu se le permettre avec La Marseillaise et les sonneries militaires esquissées et aussitôt triturées dans sa broyeuse de chocolat sonore. Ce qui ne fait pas du free une musique sans humour, mais elle l’est d’abord par l’énormité et le sérieux mélangés avec lesquels les musiciens l’exécutent (à tous le sens du mot).

Nous nous efforçons sans cesse de purifier notre musique, de nous purifier nous-mêmes, afin de nous élever, ainsi que ceux qui nous écoutent, vers des niveaux supérieurs de paix et de compréhension.
Albert Ayler